Julie Balagué, Aubervilliers dans l'objectif
Actualité
Mise à jour le 21/05/2019
Sommaire
Photographe de métier, Julie Balagué concentre l'attention sur un lieu de vie iconique d'Aubervilliers: le quartier de la Maladrerie. Elle y interroge, à travers sa réalisation "Utopie Maladrerie" ses formes, les vies de ses habitants dans ce lieu futuriste,"à part". Nous l'avons rencontrée au C.A.P.A, lieu d'exposition à la Maladrerie.
C'est dans un quartier à Aubervilliers, si reconnaissable mais si rarement abordé, que se posent les pas du "Que faire à Paris" aujourd'hui. Au détour de l'allée Gustave Courbet (métro Fort d'Aubervilliers), s'élève devant nous le quartier de la Maladrerie. Ses tourelles et leurs créneaux dessinant une ligne avec le ciel, ses terrassements réguliers et sa jungle végétale omniprésente nous entourent et nous protègent. Il fait beau. Le vert de la pelouse répond au gris des bâtiments et leurs terrasses en fleurs. On y croise les enfants jouant une énième partie de foot, se servant des colonnes et des angles en quinconce pour passer un petit-pont. Nous venons y rencontrer l'artiste photographe Julie Balagué, qui expose en ce moment son travail au Centre d'Art Plastiques d'Aubervilliers. Son projet multi-formes met en lumière justement ce microcosme urbain unique en son genre et raconte ainsi la vie des gens qui y habitent et la géométrie caractéristique de leur environnement.
La Maladrerie, un projet pas comme les autres
C'est en recherchant un nouvel appartement que Julie nous avoue être tombée sur le quartier de la Maladrerie. Immédiatement séduite, elle s'y installe et commence une nouvelle vie de quartier, en continuant à vivre en périphérie de Paris. "J'ai toujours été banlieusarde, proche-Paris. J'ai besoin d'espaces. De parcs et de jardins". Alors qu'elle a déjà exploré la notion d'Utopie architecturale et de lotissement, en exposant aux Rencontres de la photo à Arles (2017) un projet sur le quartier Levitt à Lesigny, survient une commande nationale des Regards du Grand Paris du Ministère de la Culture en partenariat avec les Ateliers Médicis et le Centre national des arts plastiques. " J'ai tout de suite fait le lien avec ce qu'il y avait à raconter ici. En m'installant à la Maladrerie, j'étais scotchée et je me suis dis: c'est ici! J'ai vu ce lieu d'habitation comme un super sujet photographique. J'ai voulu en donner un regard". Julie répondra ainsi à cette commande en soumettant son dossier sur la Maladrerie. Elle y tire le fil d'une utopie architecturale, celle de la Maladrerie, en montrant son architecture comme un décor dans lequel gravitent des personnages, à travers ses photographies.
En effet, ce projet architectural, passé au statut de patrimoine du XXe siècle (2008), impressionne par sa singularité. L'architecte, Renée Gailhoustet a réalisé la Maladrerie, entre 1975 et 1989 en partant du postulat : "A personne/ individu unique, un appartement unique". Sur les 1000 logements sociaux construits, aucun ne ressemble au voisin. L'utopie se dessine aussi dans les intérieurs des uns et des autres. Julie nous confie : "il y a quelque chose de très partageur ou même curieux dans ce quartier car on a toujours envie d'aller voir chez le voisin pour constater ce qui change dans l'espace de chaque logement. L'invitation à domicile, toujours bienvenue, amène à la surprise, l'inédit. " Mais si l'architecture et la fonctionnalité intérieure suscite les curiosités mutuelles des habitants de la Maladrerie, ce n'est pas ce qui intéresse Julie en photo : "je ne voulais pas que le fait de montrer l’intérieur des gens soit un inconvénient dans le résultat d'un travail pavillonnaire".
Julie préfère photographier les extérieurs. Elle poursuit l'idée d'envahissement végétal, de la nature qui reprend ses droits sur le béton. Dans sa photo, l'évidence du vert, du végétal transparaît. Cela crée un paradoxe puisque le médium initial est le projet architectural où le béton n'y est plus tant le roi. Si ses tours ne culminent pas si haut, "la Mala." s'étend sur plusieurs hectares alternant passages couverts, escaliers et nivellements, verdure et petite placette. L'expérience de "château fort" comme place forte de vie est retranscrite ici avec des coursives, des passages intérieurs débouchant sur des escaliers angulaires et décrocheurs. Il y a un côté labyrinthique où la promenade devient un jeu. "Quand j'ai commencé le projet de photo ici, j'ai pris des plans avec moi pour cadrer un peu l'espace. Je me suis dis très vite que j'en aurai vite fais le tour. En réalité, c'est un vrai dédale". Autre détail amusant de ce microcosme urbain raconté par Julie, ce sont les appellations innocentes proclamées par les enfants du coin pour nommer les hauts lieux de la Maladrerie. Ainsi, le petit étang qu'on aperçoit en arrivant a été rebaptisé "le lac", véritable épicentre de la jeunesse de la Maladrerie. "le Bois" ou "la Prairie" renvoient respectivement à un bosquet de 10 arbres et une langue de pelouse qui s'affaisse. "Cette sur-évaluation innocente et amusante est un peu caractéristique de ce lieu, que les habitants se sont ré-appropriés".
La photo, une question de rencontre
Julie n'en est pas à son premier projet photographique. Issue d'un parcours scientifique en classe prépa. de Biologie, elle se tourne très vite, avec l'acquisition d'un vieil appareil de sa sœur, vers la photo et intègre l'Ecole Louis Lumière à Paris. "Mon premier projet d'école, je l'ai un peu pris à rebrousse-poils. On m'a demandé de réaliser un reportage. Moi qui aimait beaucoup le travail de mise en scène chez les photographes de mode comme Guy Bourdin, j'ai pris le contre-pied en m'intéressant au milieu hospitalier, grâce à mon père qui était anesthésiste. Les retours à l'époque sur mon travail étaient assez bon. J'ai donc continué. Ce que j'aime c'est rencontrer les gens. La photo, c'est une rencontre. Ça doit être très réel sans être du reportage". Julie aime citer parmi ses influences le travail de Guillaume Herbaut, photographe journaliste réalisant des projets documentaires. "Ça m'a montré ce qu'était le documentaire. Avec son ajout ou non de parti pris. A partir de là, j'essaie dans ma démarche de m'émanciper de l'objectivité supposée de la photo".
Ainsi, Julie alterne, dans sa carrière de photographe, ses projets personnels, comme celui-ci, et les projets de commande : photos de presse, photos contemporaines. Elle raconte: "Récemment, j'ai justement été appelée pour une série en milieu hospitalier. Amusant de constater que c'était mon premier objet de photo. Bien que cette succession fasse la beauté de notre métier, c'est parfois compliqué de gérer ces transitions rapides entre projets, et de passer de sujets poignants comme un petit garçon gravement malade, à de la photo plus corporate, avec une série-photo sur les producteurs de viande en Ecosse. Pourtant, j'écoute les histoires de chacun et chacune."
Un succès artistique car une fierté locale
Il faut aussi, en parlant de cet événement, saluer l'effort de médiation entamé avec Madame Juliette Fontaine, directrice du C.A.P.A depuis 5 ans. Chaque année, le Centre d'Aubervilliers organise, en partenariat avec l'Office Public de l'Habitat (bailleur des lieux d'exposition), l'itinérance d'exposition, dans des appartements vides. Ainsi, "Utopie Maladrerie" prend racines dans un des logements mis à disposition. Ce qui permet une rencontre totale, à domicile, avec le public venu nombreux pour le vernissage (le "Que faire" était présent!). Les premiers contacts et étonnements sont pourtant venus dès les débuts du projet. "Quand j'ai commencé, j'ai d'abord pris l'angle architectural en photographiant ces bâtiments. Pour cela, j'utilisais une chambre photographique 4-5, un appareil très imposant sous lequel on peut se cacher sous un rideau. Je me posais là, au milieu de tous. Ça a immédiatement suscité la curiosité des premiers passants. C'est en échangeant que j'ai pu leur proposer de les photographier. Evidemment au début, je ne suis tombée que sur de fervents défenseurs du quartier, qui ont immédiatement adhéré au projet. Mais je voulais aussi rencontrer ceux pour qui ce lieu n'est pas tant une utopie, une évidence, un choix. Pour certains, c'est dur ici."
Pourtant, "Utopie Maladrerie" résonne pour ses habitants car il y reconnaissent tous les moindres détails. Au vernissage, les enfants sont là, attentifs à tout, parfois surpris. " Certains m'ont demandé si mes photos étaient des peintures. D'autres ont pu lire dans ma création de ces blocs de béton, un alphabet, genre de code propre à ici. C'est carrément ça!"
4 des lieux favoris de Julie Balagué :
Cantine du Monde
"Le midi, c'est Christian et Hélène qui cuisinent. On y mange des riz à l'africaine, du pain pita. Beaucoup d'épices et d'influences."
Auber Kitchen
20 rue Lécuyer Aubervilliers
Restaurant
"Dans ce restaurant tunisien, il faut prendre le couscous au poisson."
Sidi Bou
69 avenue Jean Jaurès Aubervilliers
Cinéma
"Je viens voir tous mes films dans cette salle art & essai"
Le Studio
2 Rue Edouard Poisson Aubervilliers
Librairie
"Les libraires sont très sympas. J'y ai acheté mon livre de poésie du moment , "Je d'un accident ou d'amour" de Loïc Demey.
Les mots passants
2 Rue du Moutier Aubervilliers
De la part du "Que faire à Paris?", courrez découvrir le travail marquant et "ethno-graphique" de Julie Balagué, exposé jusqu'au 16 Juin. Vous y trouverez certes des photos, mais aussi de la sculpture, et des témoignages oraux recensés au fil de l'exposition . On ne vous en dit pas trop non plus!
Evènement
Exposition "Utopie / Maladrerie" de Julie Balagué
3 allée Gustave Courbet, 93300 Aubervilliers
Du samedi 4 mai 2019 au dimanche 16 juin 2019
La Maladrerie
3 allée Gustave Courbet, 93300 Aubervilliers
Du samedi 4 mai 2019 au dimanche 16 juin 2019
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